Montre-moi tes dents, je te dirai qui tu es

Publié le 11 mars 2024

L’organe dentaire résiste à l’air, à l’eau, au feu et au temps, il est ainsi un organe de première importance dans l’identification médico-légale. Le Dr Gwénola Drogou, présidente de l’Association française d’identification odontologique AFIO, membre de l’ADF, donne la parole aux dents et livre ses informations aux enquêteurs de la police judiciaire.

À quand remonte l’identification odontologique ?

Gwénola Drogou : L’utilisation de l'identification odontologique remonte au Ier siècle. Cependant, sa véritable naissance date du 4 mai 1897, jour du gigantesque incendie du Bazar de la Charité à Paris qui a entrainé la mort de 125 personnes. Certains corps calcinés n’ont été identifiés que par les dents et les prothèses. C’est le cas de la duchesse d’Alençon, soeur de Sissi, impératrice d’Autriche, dont les fiches dentaires apportées par son dentiste, le Dr Isaac Davenport, ont permis son identification. Cet événement marque l'histoire de l'identification odontologique en démontrant la nécessité d’avoir un moyen scientifique d’identification des corps. C’est le début de l’odontologie médico-légale, dont le relevé dentaire devient une méthode primaire en 1980, soit un moyen d’identification fiable et précis, au même titre que l’ADN et l’empreinte digitale. La première réquisition officielle d’un chirurgien-dentiste médico-légal a lieu en 1982 pour l’identification des 53 victimes de l’accident autoroutier de Beaune.

Pourquoi a-t-on besoin d’effectuer
une identification odontologique ?

G.D. : Avant toute chose, il faut préciser que l’identification est toujours réalisée dans un cadre judiciaire. Elle regroupe des professionnels de la médecine légale, notamment des médecins légistes et des odontologistes, qui collaborent pour identifier des individus à partir de caractéristiques dentaires. L'identification odontologique est une méthode utilisée dans le cadre de découverte d’un cadavre non identifiable, d'enquêtes criminelles, de catastrophes naturelles, de conflits armés, de fraudes d’identité, d’estimation de l’âge ou d'autres situations où l'identification des personnes est nécessaire. Elle est mise en oeuvre dès qu’il y a un doute sur l’identité d’une personne décédée ou pour rechercher l’auteur d’un crime ayant fait subir des morsures.

Quelles sont les 
caractéristiques 
singulières d’une dent ?

G.D. : Les dents humaines sont considérées comme des éléments anatomiques relativement uniques. Chaque personne a une combinaison distincte de caractéristiques, même si certaines similitudes peuvent être partagées par plusieurs individus, en particulier au sein d'une même famille. Elles représentent la partie du corps qui résiste le mieux à la carbonisation, la putréfaction, l’immersion, la squelettisation, la poly fragmentation, notamment dans les cas de crashs d’avion. Les dents sont particulièrement bien protégées à l’intérieur de la bouche, notamment en cas d’incendie jusqu’à des températures dépassant 800 °C. La pulpe peut ne pas avoir été détruite et servir à l’analyse ADN. Par ailleurs, les craquelures, la fusion d’amalgame ou de céramique peuvent fournir des informations sur la température atteinte, renseignant ainsi l’enquêteur en cas de destruction du corps par le feu.

Que révèlent les dents d’un individu
sur les circonstances de sa mort ?

G.D. : Les dents permettent de faire une estimation de l’âge, le genre, les habitudes alimentaires, les carences, et renseignent également sur l’hygiène, le tabagisme, ainsi que sur les problèmes de santé qui peuvent conduire à des malformations ou des colorations. Elles fournissent des indications sur l’origine géographique, étudiée par les isotopes qui varient en fonction du lieu d’origine et de résidence de la personne. Les dents peuvent également refléter le niveau socio-économique. Par exemple, les couturières pouvaient présenter des encoches sur les dents à force d’y maintenir les épingles tandis que les charpentiers présentaient des trous marqués par les clous tenus entre leurs dents. La dent livre aussi des informations sur l’appartenance ethnique : une dent en or jaune sur l’incisive est connue dans le bassin méditerranéen, des dents laquées noires sont communes au Vietnam, et les dents taillées en pointe se retrouvent chez certaines tribus d’Afrique. Cependant, ces pratiques ont tendance à disparaitre.
Concernant les circonstances du décès, les actes de violence portés au visage peuvent être facilement identifiée sur les dents, entraînant des fractures et des lésions inflammatoires, permettant parfois de les dater. L’identification odontologique sert également à analyser des traces de morsures qui ont pu entrainer le décès.

Sur quels points 
s'appuie l'identification 
odontologique ?

G.D. : En identification odontologique médicolégale, il n’existe pas un nombre de points de correspondance défini pour établir une identité, contrairement à l’empreinte digitale. L’identification odontologique prend en considération l’unicité de la denture, la morphologie par l’espèce, les variabilités anatomiques, les caractéristiques de surfaces (crêtes, fissures, tubercules), les usures physiologiques, les pathologies, ainsi que les soins (dent extraite, implant…). En examinant les cinq faces de la dent, on parvient à une discrimination extrême, similaire à celle de l’ADN. La radiographie est souvent nécessaire pour établir l'identité d'une personne. Les chirurgiens-dentistes sont alors contactés par l’enquêteur, ou l’enquêteur envoie une réquisition au président de l’Ordre national qui diffuse une "alerte identification" via le protocole UIO-AFIO (Unité d’identification odontologique* Association française d'identification odontologique), pour fournir leurs données médicales (soins et radiographies).

Comment a évolué l'identification
odontologique ?

G.D. : La radiographie a permis une première grande évolution après-guerre. Aujourd’hui, les données informatiques facilitent l’accès plus rapide aux dossiers des patients. Même chez les édentés totaux, l’identification est possible grâce au marquage des prothèses et à leur enregistrement informatique. L’intelligence artificielle constitue un progrès majeur pour la recherche, notamment dans l’estimation de l’âge, du genre, et dans l’analyse de nombreuses radios panoramiques. Les protocoles ont également considérablement évolué grâce à une standardisation et une harmonisation des nomenclatures, ainsi que des normes AFNOR d’odontologie légale, en lien avec Interpol pour faciliter la coopération internationale. L’identification par relevé dentaire est également inscrite dans la loi Loppsi 2 depuis 2011 en cas de découverte d’un corps non identifié.

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